Vase d’Aliénor d’Aquitaine

Vase d’Aliénor d’Aquitaine

Auteur

Dimensions

H. 33,7 cm ; D. 15,9 cm

Provenance

Lieux de création : vase : Iran - monture : Paris - Provenance : Trésor de l'abbaye de Saint-Denis

Technique

Orfèvrerie, Nielle, Filigrane, Émail champlevé

Matériaux

Cristal de roche, Or (métal), Perle, Émail, Pierre précieuse

Datation

Vase : dynastie sassanide, 500-700 - Monture : 1137-1140, XIIIe-XIVe siècle

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Pourquoi ce vase porte-t-il le nom de la reine Aliénor d’Aquitaine ?

La reine Aliénor est certainement l'une des plus célèbres du Moyen Âge. Fille de Guillaume X, duc d'Aquitaine, elle est une des plus grandes héritières de l'époque : le duché correspond alors au centre et au sud-ouest de la France. Son mariage avec le roi Louis VII en 1137 agrandit donc considérablement le royaume de France. Mais la mésentente entre les époux et le tempérament impétueux de la reine, qui n'hésite pas à tromper ouvertement le roi, amènent celui-ci à demander le divorce. Par son mariage avec Henri Plantagenêt, devenu roi d'Angleterre, elle apporte l'Aquitaine à son nouveau royaume. Dans l'histoire de l'art, le nom d'Aliénor est associé à un objet splendide constitué de deux parties d'époque et d'origine différentes, un vase de cristal de roche et sa monture en argent doré [ image principale ].

De l'Iran à Saint-Denis

Une inscription latine sur le pied [ détail b ] permet de reconstituer toute l'histoire du vase : « Ce vase, Aliénor son épouse l'a donné au roi Louis, Mitadolus à son aïeul, le roi à moi-même, Suger, qui l'ai offert aux saints. » Suger, abbé de Saint-Denis, l'a offert aux saints Denis, Rustique et Éleuthère qui étaient honorés dans son abbaye. Lui-même l'avait reçu du roi Louis VII qui l'avait eu en cadeau de son épouse, Aliénor. Elle-même le tenait de son grand-père, le duc d'Aquitaine Guillaume IX, qui l'avait reçu d'un certain Mitadolus. Ce dernier personnage est plus difficile à identifier. Il s'agit sans doute du roi musulman de Saragosse, qui portait le titre arabe d'« Imad al-dawla » (« colonne de la dynastie »), devenu Mitadolus en latin. Il fut justement allié de Guillaume IX d'Aquitaine en 1120 et a pu lui offrir ce vase. Les objets d'art constituaient souvent des cadeaux diplomatiques et circulaient d'un pays à l'autre, transformés et embellis par leurs propriétaires successifs.

Le vase lui-même est en cristal de roche, un quartz transparent et incolore. Travailler ce matériau est particulièrement délicat, car il faut d'abord creuser le vase dans un bloc de pierre et réaliser ensuite le décor dont la beauté augmente d'autant la valeur de l'objet. Il présente un motif en « nids d'abeilles », des facettes hexagonales disposées de façon régulière. Ce décor existe déjà dans l'Antiquité romaine et se retrouve ensuite à Byzance et au Proche-Orient. Il est particulièrement fréquent chez les Sassanides, une dynastie qui règne sur l'Iran et la Mésopotamie (actuel Irak) de 224 à 642. C'est pour cette raison qu'on attribue ce vase à l'art sassanide, connu par ailleurs pour sa luxueuse vaisselle en argent [ image 1 ] et en verre.

L'abbé Suger, un des plus grands personnages du royaume

Suger fut abbé de Saint-Denis de 1122 à sa mort en 1151. Conseiller de Louis VI et de son successeur Louis VII, il participe au gouvernement pendant la deuxième croisade, de 1147 à 1149. Il renforce les liens entre le pouvoir royal et son abbaye, qui était déjà la nécropole des rois de France, quand il fait de saint Denis le protecteur attitré du souverain et du royaume.

Suger occupe une place importante dans l'histoire de l'art, car c'est lui qui ordonne la reconstruction de la basilique Saint-Denis dans le nouveau style gothique, avec de magnifiques vitraux [ image 2 ]. En butte aux critiques de Bernard de Clairvaux, qui prônait l'austérité, Suger justifie son goût pour les objets précieux par le fait que leur contemplation permet, selon lui, de se détacher du monde terrestre et de s'élever vers Dieu. Il donne ainsi une valeur religieuse, et même mystique, au plaisir esthétique. Il explique aussi que rien n'est trop beau pour la gloire de Dieu. Il a fait travailler de nombreux orfèvres, particulièrement d'Île-de-France, auxquels on attribue la réalisation de la monture du vase d'Aliénor. Au Moyen Âge, les abbayes étaient d'importants centres artistiques, et les abbés faisaient partie des plus grands mécènes.

La monture : un chef-d'œuvre de l'orfèvrerie française

L'abbé Suger a lui-même raconté dans ses écrits l'histoire de ce vase et comment il l'a fait orner d'or et de pierres précieuses pour le rendre encore plus beau qu'il n'était. La monture est en argent doré et se caractérise surtout par la technique du filigrane : des fils métalliques, travaillés pour former des motifs en grains, sont soudés sur la feuille de métal. Ils dessinent d'élégants fleurons perlés, très décoratifs [ détail c ] et bien mis en valeur par le fond lisse et brillant sur lequel ils se détachent. Ce décor, assez rare à l'époque, pourrait s'inspirer d'œuvres orientales. Il est complété par des perles et des pierres précieuses qui apportent une note colorée à l'ensemble. Un décor comparable se retrouve sur d'autres vases précieux dont Suger a commandé la monture : ce travail est donc l'œuvre d'orfèvres qui travaillaient régulièrement pour lui. Par la suite, le vase a subi quelques transformations. Les médaillons en émail parsemés de fleurs de lis ont notamment été rajoutés sur le col au XIVe siècle.

Le vase d'Aliénor fait partie des objets précieux offerts par Suger à Saint-Denis [ image 3 ]. Il enrichit ainsi le trésor de l'abbaye, un trésor composé de pièces exceptionnelles par leur matière et leur décor. Suger montre ainsi son ambition de faire de Saint-Denis un des centres religieux les plus puissants du monde chrétien. Le trésor de Saint-Denis, dont de nombreuses pièces avaient déjà été fondues ou vendues, fut en grande partie détruit à la Révolution. Mais quelques objets remarquables, comme le vase d'Aliénor, furent épargnés et envoyés au musée du Louvre ou au Cabinet des médailles à la Bibliothèque nationale.

Françoise Besson

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/vase-dalienor-daquitaine

Publié le 26/11/2013

Glossaire

Trésor : Le terme trésor désigne à la fois un ensemble d’objets précieux et le lieu qui les abrite.

Filigrane : Technique d’orfèvrerie qui consiste à concevoir un décor à partir de fils de métal entrelacés et soudés sur un support.

Émail : Vernis coloré, opaque ou translucide, qui peut s’appliquer sur différents supports (céramique, métal, pierre, verre…).

Art gothique : Style qui se développe à partir du milieu du XIIe siècle jusqu’au début du XVIe siècle dans l’Occident chrétien.

Suger : (1080/1081-1151) Conseiller de Louis VI et de Louis VII, abbé de Saint-Denis. Il est considéré comme l’initiateur du style gothique en France avec la rénovation de la basilique de Saint-Denis.