Peinture (Argent sur noir, blanc, jaune et rouge) Pollock Jackson

Painting (Silver over Black, White, Yellow and Red)

Sans titre (Noir, Rouge sur Noir sur Rouge)

Dimensions

H. : 61 cm ; L. : 80 cm

Provenance

Technique

Peinture, Marouflage

Matériaux

Papier marouflé sur toile

Datation

1948

Lieu de conservation

France, Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne

L’homme a-t-il complètement disparu de cette peinture abstraite ?

Durant la Seconde Guerre mondiale, des artistes européens (Ernst, Léger, Masson, Miró, Mondrian…) s'installent aux États-Unis pour échapper au nazisme et inspirent les expériences de jeunes peintres américains. Guernica de Picasso, manifeste monumental contre le franquisme, alors exposé à New York, impressionne fortement la nouvelle génération dont Jackson Pollock est l'une des figures les plus emblématiques. Durant sa brève carrière, cet artiste explore plusieurs techniques, s'essaye à la peinture murale, peint au pistolet et à l'aérographe, mais il invente surtout en 1947 le procédé du dripping (de « to drip », égoutter). Mort à quarante-quatre ans dans un accident de voiture, Pollock est un représentant majeur de l'action painting (« peinture d'action », dite aussi « peinture gestuelle »). Avec des artistes comme lui, l'après-guerre voit le pôle artistique se déplacer de Paris à New York.

La peinture « all over »

Dans Peinture (Argent sur noir, blanc, jaune et rouge) [ image principale ], toute la surface de la toile est traitée de manière identique, contrairement à une composition classique structurée en divers plans. C'est ce qu'on appelle une peinture « all over ». Avant Pollock, Monet dans les grandes toiles des Nymphéas de l'Orangerie avait déjà recherché ces effets de surface, bord à bord. Cette nouvelle manière d'exploiter la toile se répand dans la seconde moitié du XXe siècle chez des artistes de nombreux courants, celui de l'expressionnisme abstrait ou celui du minimalisme, par exemple.

Éclats de couleurs

Éclaboussée de noir sur fond blanc, la toile est recouverte d'un fouillis de filaments colorés. Le résultat semble aléatoire, mais ce jeu d'entrelacs est dirigé par un geste précis qui engendre une écriture rapide et rythmée. Ayant posé la toile au sol, le peintre marche dessus, circule autour, et muni de pots percés et de divers objets, y dépose ou y projette vigoureusement des gouttes et des coulures de peinture. L'artiste entend laisser l'empreinte de son geste : sa composition devient progressivement homogène et fixe de façon abstraite l'ensemble du processus créatif.

Danse et pulsion : l'action d'abord

Chez Pollock, l'œuvre n'est plus une image, ne raconte plus d'histoire, mais conserve la mémoire des déplacements, de l'énergie et de l'état mental de l'artiste à l'heure de l'action. Cette pratique picturale s'apparente à une sorte de rituel, à une chorégraphie. Pollock a pu s'inspirer de l'automatisme surréaliste, développé par Masson [ image 1 ] qui dessine librement en laissant divaguer sa main. Mais Masson observe ses lignes enchevêtrées pour voir surgir des formes et des figures qui révèlent son inconscient. Pollock, quant à lui, ne conserve que le souvenir de son geste, sans chercher à faire apparaître une image : la trace matérielle du processus compte plus que le résultat final.

Pollock et l'expressionnisme abstrait

Pollock appartient à un courant appelé expressionnisme abstrait ou « école de New York ». Ce premier mouvement d'art abstrait américain se développe de 1942 à 1957 et bénéficie du soutien de Peggy Guggenheim, riche amatrice d'art qui expose ces peintres dans sa galerie new-yorkaise, Art of this Century. Pour ces artistes, ce qui est important dans le tableau, c'est la surface peinte, réceptacle de leurs sensations et de leurs émotions. Deux modes de création se distinguent dans ce mouvement. Un premier groupe d'artistes, auquel appartiennent Pollock et De Kooning, est appelé gestuel. Les peintres délaissent les pinceaux pour le pot de peinture jeté sur le support. Leurs œuvres paraissent inachevées, ont un aspect violent et laissent voir des formes indistinctes avec coulures et effets de matières. Le second groupe est appelé « color field » (« champ de couleur »), expression qui définit la nature couvrante et homogène de la couleur sur toute la toile. Pour des peintres comme Rothko, par exemple [ image 2 ], la toile devient un espace symbolique et tragique. Les aspirations spirituelles et les questions sur l'existence humaine sont exprimées au moyen des couleurs unies et des formes élémentaires.

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Ressources

Biographie et vidéo sur Pollock

http://www.jackson-pollock.info/video-pollock.html

Un dossier pédagogique sur l’exposition 1945-1949, Repartir à zéro, comme si la peinture n'avait jamais existé, organisée par le musée des Beaux-Arts de Lyon en 2009

http://www.mba-lyon.fr/mba/sections/fr/expositions-musee/mba/sections/fr/expositions-musee/1945-1949.-repartir/repartir-a-zero

Glossaire

Action painting : Terme américain qui désigne, à partir des années 1950, une tendance au sein de l’expressionnisme abstrait. Les gestes et l’implication physique des artistes occupent une place centrale dans le processus de création.

Aérographe : Pistolet à peinture.

All over : Pratique artistique qui consiste à couvrir toute la surface d’un tableau sans hiérarchie de plans, à la différence d’une composition classique.

Automatisme : Procédé artistique pratiqué par les surréalistes, aussi bien en littérature qu’en peinture, consistant à laisser la main écrire ou dessiner sans réflexion préalable.

Cubisme : Courant artistique, né peu avant la guerre de 1914, dont les pionniers furent Pablo Picasso et Georges Braque. Il porte un nouveau regard sur l’objet, dont les volumes et les plans peuvent être représentés de manière stylisée et vus simultanément sous plusieurs angles. Il s’inspire à la fois des recherches formelles de Paul Cézanne et des arts premiers.

Composition : Manière de disposer des figures, des motifs ou des couleurs dans l’élaboration d’une œuvre.

Surréalisme : Courant artistique très lié à la littérature, qui se développe à partir des années 1920. En 1924, André Breton définit le surréalisme comme un « automatisme pur », une « dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison ».

Minimalisme : Courant artistique qui prône une extrême simplicité des moyens et des formes. Né aux États-Unis au début des années 1960, en réaction à l’expressionisme abstrait, il rejoint certaines préoccupations d’artistes européens, notamment les Italiens de l’arte povera.

Expressionnisme abstrait : Mouvement de peintres américains qui renouvellent l’abstraction après 1945. Chez ces peintres, le tableau est affirmé comme surface peinte et expérience intérieure du réel. On distingue généralement deux groupes : le color field, qui valorise le champ coloré (Mark Rothko, Barnett Newman…) et l’action painting qui valorise la gestuelle (Jackson Pollock, Willem de Kooning…).