Voltaire nu Pigalle Jean-Baptiste

Voltaire nu

Dimensions

H. : 150 cm ; L. : 89 cm ; P. : 77 cm

Provenance

Technique

Sculpture

Matériaux

Marbre blanc

Datation

1776

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Une sculpture hommage doit-elle magnifier son modèle ?  Comment Jean-Baptiste Pigalle a-t-il détourné les canons de l’Antiquité gréco-romaine pour proposer cette statue réaliste d’un Voltaire nu et décrépi ?

Jean-Baptiste Pigalle naît sous le règne de Louis XIV, dans une famille de modestes maîtres-menuisiers. Destiné dans sa petite enfance au métier de tailleur de pierre, il s'engage finalement dans une carrière de sculpteur.

Refusé au concours de l'Académie de peinture et de sculpture, il décide de se rendre à Rome pour parfaire sa technique et étudier les chefs-d'œuvre de l'art antique. Là, il conçoit le modèle d'une statue de Mercure et expose le plâtre lors de son retour en France. Cette création lui offre son premier grand succès, et le marbre réalisé lui permet enfin d'être reçu à l'Académie en 1744. Le sculpteur a alors 30 ans.

Jean-Baptiste Pigalle attire bientôt l'attention du roi Louis XV et de Madame de Pompadour. Ayant les faveurs de la Cour, il travaille à la réalisation de nombreuses commandes. En 1770, c'est à ce sculpteur reconnu qu'un ensemble de personnalités du monde des lettres décide de commander une sculpture en hommage à François-Marie Arouet dit Voltaire, alors en exil en Suisse image principale. Ce dernier est le premier homme de lettres français à être sculpté de son vivant, un privilège jusque-là réservé aux rois.

Une commande et une souscription publiques

L'idée de cette sculpture naît chez Madame Necker, à l'instigation d'une assemblée de dix-sept philosophes, parmi lesquels Denis Diderot et Jean Le Rond d'Alembert. Ils décident de lancer souscription pour la réalisation de l'ouvrage, et prévoient une inscription à graver sur le socle. Réservée dans un premier temps aux hommes de lettres, cette souscription est finalement ouverte à tous. Parmi les souscripteurs, on peut nommer Frédéric II de Prusse et Jean-Jacques Rousseau. L'assemblée laisse Jean-Baptiste Pigalle fixer le prix de l'œuvre. Le sculpteur estime le coût à 10 000 livres (ce qui représente à peu près 13 000 euros aujourd'hui), exceptés le prix du marbre et les frais de voyage.

Pigalle et son modèle

Pour Voltaire, cette commande est un immense honneur. Toutefois, âgé de 76 ans et dans un état de santé fragile, il exprime quelques réserves : « […] je sors à peine d'une grande maladie qui a traité fort mal mon corps et mon âme pendant six semaines. […] On n'a jamais sculpté un pauvre homme dans cet état […]. »

Voltaire finit par consentir à se faire portraiturer par Jean-Baptiste Pigalle, qu'il considère comme un excellent artiste, allant même jusqu'à le qualifier de « Phidias français ». Le philosophe avait notamment fait l'éloge du monument qu'il avait réalisé en 1755 à la gloire de Louis XV, à Reims image 2, sur le socle duquel il avait admiré la figure de citoyen nu et heureux au repos que le sculpteur avait intégrée.

Un choix radical

Dans un premier temps, en accord avec Denis Diderot, Jean-Baptiste Pigalle conçoit cette statue de grand homme en écho au modèle antique du Sénèque mourant image 1. Mais il abandonne très vite cette idée pour se tourner vers une étude approfondie de la nature, c'est-à-dire représenter Voltaire tel qu'il est. L'artiste se rend alors à Ferney, en Suisse, pour rencontrer son modèle et réaliser des études d'après nature.

Il choisit de représenter le philosophe nu, à la manière d'un héros antique, sans toutefois l'idéaliser. Le corps âgé et amaigri de l'homme de lettres est observé sans aucune concession. Voltaire est assis sur un rocher, nu, un manteau jeté sur son dos image c. Il tient les outils nécessaires à son art : d'une main une plume, de l'autre un rouleau image principale. Son regard s'élève vers le ciel image b.

Des pressions s'exercent alors sur Jean-Baptiste Pigalle pour le faire renoncer à un tel projet. Voltaire lui-même est réticent, craignant critiques et railleries. Mais, face à l'inflexibilité du sculpteur, il s'incline et déclare : « C'est un crime en fait de beaux-arts de mettre des entraves au génie. Ce n'est pas pour rien qu'on le représente avec des ailes il doit voler où il veut et comme il veut. »

Jean-Baptiste Pigalle termine la statue dans son atelier parisien en 1776, telle qu'il l'a pensée. Il la complète de l'inscription suivante image d : « À monsieur de Voltaire, par les gens de lettres, ses compatriotes et ses contemporains. 1776. »

Un scandale autrefois, un chef-d'œuvre aujourd'hui

La vision du corps décharné du philosophe provoque, à l'époque, un véritable scandale. Jugée bien trop naturaliste, l'œuvre ne peut alors décorer aucun palais. Aussi, quelques années plus tard, en 1781, la nièce du philosophe passe une nouvelle commande au sculpteur Jean Antoine Houdon, qui propose un Voltaire assis et habillé image 3. Le succès est immédiat.

Voltaire lègue la sculpture de Jean-Baptiste Pigalle à son petit-neveu, qui en fait don à l'Institut de France en 1807. L'œuvre est ensuite déposée au Louvre en échange du mausolée de Mazarin, alors placé sous la coupole de l'Institut.

Voltaire nu fait aujourd'hui partie des plus grands chefs-d'œuvre de la sculpture exposés au musée du Louvre. L'étude anatomique du corps vieillissant est remarquable pour son réalisme, tandis que l'effet de draperie, la pose dynamique et le regard élevé subliment le génie représenté. La vision de l'intimité qui est révélée est particulièrement touchante.

Un siècle plus tard, Auguste Rodin et Camille Claudel interrogeront à leur tour la représentation de la vieillesse. Le Torse de Clotho image 4, comme un lointain écho au corps du philosophe âgé, sonde lui aussi et sans concession l'humain dans sa vérité nue.

Véronique Duprat-Roumier

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/voltaire-nu

Publié le 20/10/2020

Ressources

L’analyse de l’œuvre sur le site L’Histoire par l’image

https://www.histoire-image.org/fr/etudes/voltaire-nu-vieillard-ideal

La Vie et les œuvres de Jean-Baptiste Pigalle, sculpteur, par P. Tarbé (1859) sur le site Gallica

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2022610.pdf

Glossaire

Académie (institution) : L’Académie royale de peinture et de sculpture est fondée en 1648. En 1816, l'Académie des beaux-arts est créée par la réunion de l’Académie royale de peinture et de sculpture, de l’Académie de musique (fondée en 1669) et de l’Académie d’architecture (fondée en 1671).