L’Île des morts Böcklin Arnold

L’Île des morts

Dimensions

H. : 73,7 cm ; L. : 121,9 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur bois

Datation

1880

Lieu de conservation

États-Unis, New-York, Metropolitan Museum of Art (MET)

Quels symboles contient ce tableau énigmatique, devenu une icône de l’art germanique ?

Peintre suisse allemand, Arnold Böcklin a été formé dans sa ville natale de Bâle, avant d'étudier à l'académie de Düsseldorf, puis à Genève. Après un voyage en Belgique et un séjour à Paris, il se fixe en Italie, retournant régulièrement en Allemagne. Son œuvre, emblématique d'un symbolisme éclectique, est particulièrement apprécié en Allemagne. L'Île des morts image principale, dont il réalise cinq versions, constitue son plus grand chef-d'œuvre.

Une commande, cinq versions

C'est en 1880, à Florence, qu'Arnold Böcklin achève pour un mécène allemand une première toile intitulée L'Île des morts, aujourd'hui conservée au Kunstmuseum de Bâle. C'est alors qu'il reçoit la visite d'une jeune veuve, Marie Berna, qui lui commande un « tableau pour rêver ».

Le peintre réalise pour elle une petite version sur bois de son Île des morts image principale. C'est le début d'un succès qui conduira l'artiste à reprendre encore trois fois ce sujet, en faisant varier l'atmosphère lumineuse du paysage :

La troisième version entrera dans les collections d'Adolf Hitler, la quatrième sera détruite pendant la seconde guerre mondiale, et la dernière image 1 sera commandée en 1886 par le Museum der bildenden Künste de Leipzig, où elle se trouve encore.

Une symbolique funéraire inspirée de l'Antiquité

Sur une mer sombre et calme, une barque image b se dirige lentement, silencieusement vers une île plantée de cyprès, bordée de falaises abruptes creusées de tombeaux.

Tout n'est que silence et mystère.

À bord de la barque, le spectateur distingue un passeur, mais son regard est surtout attiré par une figure présentée de dos, drapée de blanc, comme enveloppée dans un linceul.

Un cercueil est visible à l'avant de cette funèbre embarcation.

Dans cette évocation funéraire, le motif de la barque serait une suggestion de la jeune commanditaire Marie Berna, souhaitant rendre hommage à son défunt mari. Arnold Böcklin trouva cette idée si séduisante qu'il ajouta par la suite une barque à la première version de son tableau. Le peintre s'est approprié ce thème funéraire en le faisant résonner plus largement avec le mythe antique de Charon, le passeur des Enfers.

Le thème de la mort est par ailleurs présent dans l'Autoportrait avec la Mort jouant du violon image 2, peint en 1872 et conservé à Berlin, sous la forme d'un squelette violoniste plus inspirant que terrifiant, interpellant l'artiste dans sa solitude.

L'évocation de l'immortalité de la figure de l'artiste

On sait la vaste culture littéraire et philosophique allemande d'Arnold Böcklin, sa connaissance érudite des mythes et de leur interprétation, depuis l'Antiquité jusqu'aux grands maîtres de l'art européen.

Selon la tradition antique, les morts reposent en deux lieux différents : les héros, favoris des dieux, sur une île, et la masse ordinaire dans le royaume souterrain du dieu Hadès. Le motif de l'île serait-il le symbole de l'héroïsation du génie de l'artiste ? Un siècle auparavant, Jean-Jacques Rousseau avait été inhumé sur l'île des Peupliers, dans le parc d'Ermenonville image 3. Arnold Böcklin s'imaginait faire partie de cette catégorie de personnages héroïques, comme le montre son Autoportrait de 1873 image 4, où il se représente devant ces symboles d'immortalité que sont le laurier et la colonne de marbre.

Sa postérité laisse penser qu'il voyait juste, si l'on en croit les impressionnantes commémorations qui ont suivi son décès le 18 janvier 1901 à Fiesole, dans cette Italie devenue sa patrie d'adoption.

À Florence, Bâle, Zurich, Leipzig, Brême et surtout Munich, c'est quasiment un culte qui lui fut rendu.

Une icône de l'art germanique

En France, le travail d'Arnold Böcklin est associé à celui de Nietzsche et, plus souvent, de Wagner. En effet, pour Émile Bernard, « Arnold Böcklin […] semble avoir accompli dans l'art contemporain ce que Wagner a réalisé dans celui de la musique : l'évocation », une des clefs de l'art symboliste.

L'artiste souhaitait abandonner ses œuvres à l'expérience subjective. Il voulait que le spectateur accède par lui-même à leur sens caché.

Diffusée en 1885 dans toute l'Europe grâce à la gravure de Max Klinger, L'Île des morts accède bientôt au rang de chef-d'œuvre et devient une icône de l'art germanique. Parmi ses nombreux admirateurs se trouvent Clemenceau, Strindberg ou encore Apollinaire, ce dernier n'hésitant pas à considérer la toile comme l'une des œuvres d'art majeures de l'humanité, au même titre que la Vénus de Milo ou La Joconde .

À sa suite, les surréalistes comme Giorgio De Chirico, Salvador Dalí et Max Ernst témoigneront de leur admiration pour l'œuvre d'Arnold Böcklin.

Véronique Zeller

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/lile-des-morts

Publié le 19/11/2020

Ressources

Écouter L’Île des morts de Sergei Rachmaninov, composition inspirée par la toile d’Arnold Böcklin

https://youtu.be/XOfpxLj9PZQ

L’œuvre en réalité virtuelle dans la collection ARTE Trips

https://youtu.be/4tuFcdi-1NQ

La notice de l’œuvre sur le site du Metropolitan Museum of Art

https://www.metmuseum.org/fr/art/collection/search/435683

La présentation de l’exposition Arnold Böcklin (1827-1901), un visionnaire moderne (musée d’Orsay, 23 octobre 2001 – 13 janvier 2002) sur le site du musée d’Orsay

https://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/aux-musees/presentation-generale/article/arnold-boecklin-1827-1901-un-visionnaire-moderne-4179.html?tx_ttnews%5Bswords%5D=b%C3%B6cklin&tx_ttnews%5BbackPid%5D=252&cHash=8d3d8a70f0

Glossaire

Symbolisme : Mouvement littéraire et artistique de la fin du XIXe siècle dont les adeptes préféraient l’évocation du monde de l’esprit à la description de la réalité.

Commanditaire : Personne qui commande et finance une œuvre, une entreprise.

Surréalisme : Courant artistique très lié à la littérature, qui se développe à partir des années 1920. En 1924, André Breton définit le surréalisme comme un « automatisme pur », une « dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison ».