Chimère

Chimère

Bellérophon sur Pégase et la Chimère

Auteur

Dimensions

H. 78,5 cm ; L. 129 cm

Provenance

Italie, Arezzo

Technique

Sculpture, Fonte à la cire perdue

Matériaux

Bronze

Datation

Vers 400 av. J.-C.

Lieu de conservation

Italie, Florence, musée archéologique national

Aujourd’hui, le terme de chimère évoque un songe irréalisable. Mais, dans l’Antiquité, n’était-ce pas un monstre de la mythologie grecque ?

La Chimère d'Arezzo est l'un des plus beaux témoignages de la sculpture étrusque en bronze image principale. On sait, par les textes antiques, que les Étrusques excellaient tout particulièrement dans cet art. Malheureusement, la plupart de ces œuvres ont été détruites, et cette Chimère est l'une des rares à nous être parvenues.

La redécouverte des Étrusques dans la Toscane de la Renaissance

La découverte de la Chimère en 1553, près des murailles de la ville d'Arezzo, en Italie, tombe à point nommé pour Cosme Ier de Médicis image 1. En effet, ce dernier cherche alors à mettre en avant le prestigieux passé étrusque de la région, qui fut l'un des principaux foyers de cette civilisation puissante et originale, antérieure à celle des Romains, pour justifier ses ambitions politiques et sa volonté d'expansion territoriale. Cosme Ier souhaite que la République florentine étende son pouvoir à l'ensemble du territoire compris entre l'Arno et le Tibre, correspondant à l'ancienne Étrurie. Pour ce grand mécène, la Chimère symbolise la supériorité de la Toscane dans le domaine artistique ainsi que sa victoire sur ses adversaires. Preuve de la valeur qu'il lui accorde, il la fait placer au palais de la Seigneurie, sa résidence à Florence et le siège du gouvernement, et en confie la restauration au célèbre bronzier et orfèvre florentin Benvenuto Cellini. La queue de la Chimère, manquante, sera quant à elle reconstituée à partir de 1785, en intégrant des fragments originaux.

La sculpture est ensuite présentée à la galerie des Offices en 1718, avant de rejoindre le Musée archéologique national de Florence en 1871 avec une autre œuvre prestigieuse en bronze, l'Arringatore, découverte en 1556 et faisant également partie des collections des Médicis.

La Chimère : un monstre de la mythologie grecque adopté par les Étrusques

La Chimère apparaît dès le début du VIIe siècle av. J.-C. dans les plus anciens textes de la littérature grecque, notamment l'Iliade d'Homère et la Théogonie d'Hésiode, ainsi que dans les productions artistiques grecques et étrusques. Son nom vient du mot grec khímaira (χίμαιρα), qui signifie jeune chèvre. Fille des monstrueux Echidna et Typhon, la Chimère possède un corps de lion, une queue de serpent et une tête de chèvre sur le dos. Elle a le pouvoir redoutable de cracher le feu. Monté sur le cheval ailé Pégase, le héros grec Bellérophon, fils du dieu de la mer Poséidon, la combat et parvient à la tuer d'un coup de lance.

Dans la céramique grecque, la Chimère est souvent représentée affrontant Bellérophon sur Pégase, comme sur cette coupe attique à figures noires datant du VIe siècle av. J.-C. image 2. Elle peut également figurer seule, comme sur ce plat réalisé dans une cité grecque du Sud de l'Italie au IVe siècle av. J.-C., qui met bien en valeur sa silhouette caractéristique dominée par la tête de chèvre image 3. Ces vases, largement importés en Étrurie, permettent la diffusion des mythes grecs. On retrouve également la Chimère sur de nombreuses œuvres étrusques : bijoux en or, miroirs en bronze, peintures murales et sculptures.

Après un déclin aux époques hellénistique et romaine, l'image de la Chimère connaît un renouveau dans l'art paléochrétien, où elle contribue à former l'image du dragon, symbole du Mal, vaincu par un nouveau héros, saint Georges.

Une œuvre saisissante d'expressivité

Cette sculpture constituait certainement un groupe avec Bellérophon et Pégase, mais ces derniers n'ont jamais été retrouvés. Elle représente la bête monstrueuse dans son dernier combat, en position défensive, rugissant et menaçant encore son adversaire. La tête de serpent a été restaurée de façon erronée à l'origine, elle devait sans doute se dresser face au héros, et non mordre la corne de la chèvre. La tête de cette dernière penche sur le côté, et son cou présente des blessures sanglantes qui annoncent l'issue fatale du combat.

L'œuvre est remarquable par la tension et le dynamisme de la pose, accentués par le réalisme du corps, à la fois souple et puissant image b. Les côtes, les muscles et les tendons saillent sous la peau, de même qu'une longue veine qui parcourt le flanc droit.

Au contraire, la tête de lion est traitée de façon stylisée image c. Le mufle, froncé, est marqué de plis réguliers. La crinière hérissée, formée de plusieurs rangées de mèches striées ressemblant à de petites flammes, laisse apparaître des oreilles rondes et lisses et se prolonge par des poils dressés qui soulignent la ligne du dos jusqu'à la naissance de la queue. Réalisés dans un autre matériau, les yeux et les crocs incrustés ont disparu.

Un ex-voto étrusque marqué par l'influence grecque

L'allure générale de la Chimère d'Arezzo, combinant réalisme et stylisation, se retrouve sur des vases attiques à figures rouges, notamment sur cet askos de la fin du Ve siècle av. J.-C. image 4. À cette période, l'art étrusque est fortement influencé par l'art grec, en particulier athénien. Métaponte, l'une des cités grecques implantées en Italie du Sud, connaît alors une activité artistique foisonnante, à laquelle participent de nombreux sculpteurs et potiers athéniens venus s'y installer. La cité est l'un des foyers à partir desquels l'art grec classique se diffuse progressivement jusqu'en Étrurie. Là, un bronzier étrusque, habile dans la technique de la fonte à la cire perdue, a créé cette Chimère, qui est une œuvre votive. L'inscription en langue étrusque « Tinscvil » image d, gravée avant la fonte sur la patte antérieure droite image d, signifie en effet que la statue était dédiée à Tin, abréviation de Tinia, le dieu suprême du panthéon étrusque, l'équivalent du Zeus grec. La graphie suggère qu'elle a été réalisée dans le Nord-Est de l'Étrurie, peut-être à Chiusi, ou même à Arezzo, le lieu de sa découverte.

Françoise Besson

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/chimere

Publié le 09/08/2016

Ressources

« Couleurs originelles des bronzes grecs et romains. Analyse de laboratoire et patines intentionnelles antiques », un dossier de Sophie Descamps-Lequime sur le site Mediachimie

http://www.mediachimie.org/sites/default/files/chimie_art_115.pdf

L’article de l’encyclopédie Larousse sur les Étrusques

http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Étrusques/118643

Glossaire

Art paléochrétien : Art des débuts du christianisme.

Étrusques : Les Étrusques vivaient en Italie centrale et dans la plaine du Pô entre le VIIIe et le Ier siècle av. J.-C. Ils sont à l’origine de la première et de la plus importante civilisation de la péninsule italique.

Ex-voto : Objet offert à une divinité et placé dans un lieu de culte pour la remercier d’un bienfait ou en solliciter un.

Figures noires : Technique de décor de la céramique grecque, inventée à Corinthe et utilisée entre la fin du VIIIe siècle et le début du Ve siècle av. J.-C. Les figures et motifs décoratifs apparaissent en noir sur le fond du vase qui reste de la couleur de l’argile. Les détails sont incisés. Il peut y avoir des rehauts de couleur.

Pégase : Cheval ailé de la mythologie grecque, né du sang de Méduse.

Figures rouges : Technique de décor de la céramique grecque, inventée à Athènes, utilisée entre la fin du VIe et le IVe siècle av. J.-C. Les figures et motifs décoratifs apparaissent en rouge orangé, contrastant sur le fond noir. Les détails sont peints au trait de pinceau. Il peut y avoir des rehauts de couleur.

Mythologie : Ensemble des croyances et des récits liés aux religions non monothéistes.

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