La Muse endormie Brancusi Constantin

La Muse endormie

"L'Oiseau dans l'espace", marbre blanc (oct. 1927), "Colonnes sans fin I à III" (1925, 1926 et av. 1928 ?), "Le Poisson" (1930), "La Muse endormie" (1920), "L'Oiselet" (1928)

Dimensions

H. : 16 cm ; L. : 25 cm ; Pr. : 18 cm

Provenance

Technique

Sculpture, Polissage

Matériaux

Bronze

Datation

1910

Lieu de conservation

France, Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne

Portrait ou figure inventée ?

Après une formation classique à l'école des Beaux-Arts de Bucarest, Constantin Brancusi (1876-1957) quitte la Roumanie pour Paris en 1904. Il travaille quelque temps chez un sculpteur académique puis un mois chez Rodin en 1907. Il devient par la suite le premier sculpteur à ouvrir l'art du XXe siècle sur l'abstraction.

Une nouvelle approche de la matière

Contrairement à Rodin, Brancusi ne modèle pas mais privilégie le travail direct du bois et de la pierre qu'il aime tailler. La différence n'est pas que technique. Brancusi déclare : « C'est la texture même du matériau qui commande le thème et la forme qui doivent tous deux sortir de la matière et non lui être imposés de l'extérieur. » De 1909 à 1925, Brancusi définit quelques thèmes, dont celui de la Muse endormie [ image principale ], qu'il reprendra inlassablement durant toute sa vie avec de légères variations. Son goût pour les surfaces polies et les formes simples le conduit à l'abstraction.

Un portrait de femme

En dépit de son caractère très stylisé et de son titre, la Muse endormie [ image principale ] n'est pas dissociée de toute réalité. Bien au contraire, elle est l'aboutissement d'une série de travaux sur le portrait de la baronne Renée Frachon, que Brancusi rencontre en 1907 et qui pose pour lui à plusieurs reprises. Les études en terre cuite d'un premier portrait ont disparu. Le sculpteur en a aussi réalisé une version en pierre, qui n'est plus connue que par une photographie [ image 1 ] : l'ovale du visage est épuré, les traits simplifiés et linéaires sont anguleux. L'œuvre peut évoquer les portraits contemporains de Modigliani, mais Brancusi ne subit pas d'influence directe et opère en solitaire. Petit à petit, il va retravailler ce portrait par l'élimination de détails pour aboutir à sa Muse endormie.

Le thème de la femme endormie

Le thème de la sculpture peut être rapproché de celui de la femme abandonnée, au repos ou endormie, qui se développe vers 1890 dans le courant symboliste, aussi bien en littérature qu'en peinture. Ainsi, Les Yeux clos d'Odilon Redon [ image 2 ], œuvre diffusée par la lithographie, montre le triomphe de l'imaginaire sur la réalité. En effet, traditionnellement le féminin incarne le repli vers le monde intérieur, et le masculin l'ouverture sur le monde extérieur. La femme devient symboliquement synonyme d'intériorisation.

Brancusi avait déjà traité le thème du sommeil [ image 3 ]. Un visage encore réaliste semble émerger d'une gangue de pierre, mais la position inclinée de la tête et les yeux fermés annoncent la Muse endormie.

Vers la stylisation et l'abstraction

La première version de la Muse endormie [ image principale ] date de 1909-1910. Les traits de la baronne sont lointainement évoqués, la tête repose sur le côté. Une simple ligne continue forme nez et arcades sourcilières. Les yeux clos renforcent la sérénité de ce visage que les cheveux coiffés en chignon [ détail b ] mettent en valeur. Le cou se remarque à peine à l'arrière. L'ovale triomphe. Cette géométrie se fonde sur la courbe et sur des détails anatomiques qui restent bien à leur place. Brancusi se distingue ainsi des artistes cubistes qui, à la même époque, décomposent et recomposent les figures en privilégiant les lignes droites et les angles. Enfin une légère dissymétrie annihile toute froideur et donne douceur et vie à la sculpture. Le métal est fortement poli, et le jeu des reflets accentue son élégance et sa sophistication. Trois plâtres et cinq bronzes seront tirés de la version de 1910, tous légèrement différents.

Vers 1917, les inlassables recherches de Brancusi aboutiront à une deuxième version dite Muse endormie II dont il existe un exemplaire en albâtre, cinq en bronze et trois en plâtre [ image 4 ]. Tous montrent une simplification accrue de l'anatomie. Au début des années 1920, dans une troisième version en marbre, il renonce aux oreilles et remplace le chignon par un simple rectangle faisant office de support.

L'ovoïde chez Brancusi

Brancusi conduit des recherches similaires notamment sur une tête d'enfant endormi et sur le portrait de mademoiselle Pogany. Le motif de la tête s'inscrit dans ses recherches constantes sur l'ovoïde : en témoignent Prométhée, le Nouveau-né et Le Commencement du monde [ image 5 ]. Pour lui, la sphère est la forme absolue, et la sphère en mouvement devient un ovoïde, une forme vivante et non purement abstraite.

Brancusi retravaille inlassablement sur les mêmes motifs, les mêmes formes géométriques, créant de nombreuses sculptures (Oiseaux, Colonne sans fin…) qui encombrent chaque année un peu plus son atelier [ image 6 ]. Il finit même par considérer le lieu comme une œuvre en soi, totale, où s'exprime la quintessence de son art. Les sculptures y entretiennent des relations privilégiées avec leurs socles, entre elles et avec l'espace. Une pièce vendue est aussitôt remplacée par sa réplique en plâtre pour ne pas briser la cohérence de l'ensemble. L'atelier qu'il a légué à l'État a été restitué par l'architecte Renzo Piano à côté du Centre Pompidou à Paris, et sa visite est recommandée pour mieux saisir l'esprit de Brancusi.

Nathalie Gathelier

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/la-muse-endormie

Publié le 10/09/2013

Glossaire

Symbolisme : Mouvement littéraire et artistique de la fin du XIXe siècle dont les adeptes préféraient l’évocation du monde de l’esprit à la description de la réalité.

Bronze : Alliage de cuivre (au moins 75 %) et le plus souvent d’étain. 

Muses : Dans la mythologie gréco-romaine, les Muses sont des divinités, au nombre de neuf, qui protègent les arts.