L’Enfant à la poupée Douanier Rousseau

L’Enfant à la poupée

Dimensions

H. : 67 cm ; L. : 52 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

Vers 1892

Lieu de conservation

France, Paris, musée de l'Orangerie

Le Douanier Rousseau est-il un peintre naïf ?

Le Douanier Rousseau s’affirme comme un peintre majeur au tournant des XIXe et XXe siècles, sans avoir appris la peinture dans une école d’art. Cet autodidacte va pourtant pouvoir montrer ses toiles grâce à l’ouverture d’un salon de peinture libre, et devenir célèbre grâce à l’essor de l’art moderne.

Une image inquiétante de l’enfance

Une petite fille est installée de face dans un pré et ses jambes sont tournées de façon naïve pour suggérer qu’elle est assise image principale. On ne voit qu’une partie de ses mollets, ses pieds sont enfoncés dans le sol détail b. La poupée qu’elle tient dans ses mains a un aspect rigide et fait penser à une marionnette détail b. Il est possible que le peintre se réfère au guignol image 1 car il aime faire des emprunts à l’art populaire. On note également la minutie avec laquelle l’artiste a peint une à une les petites fleurs qui parsèment le pré, un goût du détail qui le particularise détail b et que l’on retrouve dans d’autres œuvres. Peut-être faut-il voir, dans ce portrait d’enfant inquiétant, l’expérience des drames vécus par Rousseau, tant les traits du visage sont grossiers et figés. En effet, après son mariage avec Clémence Boitard en 1869, elle lui donne sept enfants dont cinq décèdent en bas âge, et un meurt de tuberculose à l’âge de 18 ans. L’unique survivante de cette fratrie est sa fille Julia. Sa propre épouse, Clémence, disparaît en 1888 à l’âge de 38 ans. Même si l’Enfant à la poupée de Rousseau tient une fleur et, comme couramment une poupée image principale, on ne trouve pas ici la grâce attendue pour un tel sujet : sa grosse tête est posée sur un buste sans cou, et l’on perçoit une légère moustache, ainsi qu’un petit bouc sur son menton détail c.

C’est au XVIIIe siècle qu’apparaît une imagerie de l’enfance en France, naturelle et spontanée, au contact de la philosophie des Lumières. Des artistes comme Jean-Baptiste Greuze, Élisabeth Vigée-Lebrun ou Jean-Honoré Fragonard vont largement contribuer à la diffusion d’une iconographie de tendresse enfantine image 2.Dans la seconde partie du XIXe siècle, le portrait d’enfant se démocratise, alors qu’au siècle précédent il restait majoritairement aristocratique. Des peintres tels que Berthe Morisot image 3 ou Auguste Renoir apportent une évolution sociale au portrait d’enfant. Ce ne sont ni la tendresse ni le cadre social de l’enfance qui intéressent le Douanier Rousseau dans ce portrait de petite fille, mais plutôt une quête esthétique originale.

Un peintre sans formation

Né à Laval en 1844, Henri Rousseau s’installe à Paris vers 1868. En 1871, il trouve un modeste emploi comme gabelou à l’octroi de Paris. Il est très exactement « gardien des contrôles et des circulations du vin et de l’alcool ». Cette fonction est à l’origine de son surnom de « Douanier ». À cette époque, Paris est entouré de murailles. Rousseau travaille à la porte de Vanves et perçoit les taxes des paysans qui viennent vendre leurs produits en ville. Il reste au même poste quasiment 22 ans et prend sa retraite en décembre 1892. Il reçoit alors une pension annuelle de 600 francs. Sa situation financière est difficile et il fait face à la pauvreté jusqu’à la fin de sa vie.

Entre-temps, il se met à peindre et obtient une carte de copiste au Louvre. Il n’a aucune formation de peintre et apprend seul en copiant les tableaux des maîtres ; il est subjugué notamment par La Chasse aux lions d'Eugène Delacroix. Alors qu’il travaille déjà à l’octroi de Paris, il peint à ses heures perdues, souvent le dimanche, parfois sur la commande de ses voisins, pour payer un commerçant ou pour un service rendu. Rousseau a trouvé dans la peinture une évasion salutaire hors de la monotonie de son travail.

Un portrait peint par un « autodidacte académique »

Henri Rousseau ignore les lois de la peinture traditionnelle occidentale, comme la perspective et le clair-obscur. Il peint comme il la voit la surface des choses et des êtres. Il aime en particulier représenter les détails avec patience, par exemple la multitude des feuilles des arbres et ici les petites fleurs dans l’herbe. Curieusement, les ciels de ses paysages et derrière ses portraits sont vraisemblables et nuancés, comme ceux d’un peintre professionnel. Ce talent surprenant pour un autodidacte est souligné par l’impressionniste Camille Pissarro.

Ses toiles se caractérisent par un style naïf inédit, pourtant interprété en suivant la leçon des peintres académiques de la IIIe République tels que Jean-Léon Gérôme, Alexandre Cabanel ou William Bouguereau, qu’il admire. Son objectif est de parvenir à les imiter. Toute sa vie, il reste fidèle à la pratique académique, travaillant ses compositions avec des études préparatoires, ne laissant aucune place à l’improvisation et revendiquant ouvertement cette approche construite et méticuleuse. Comme eux, il recherche le beau idéal, mais la solution qu’il trouve pour élever son modèle au-dessus de la réalité reste unique. Il traduit ici le visage avec une forte symétrie pour accéder à une beauté stable, immuable. Il parvient à lui donner un aspect monumental et hiératique même si cette face reste fixe, voire monstrueuse.

Sa peinture est jugée irrecevable par le système officiel. Toutefois, le Salon des Indépendants, créé en 1884, donne la possibilité au peintre de présenter librement ses peintures au public, car cette exposition sans jury ni récompense est ouverte à tous. Henri y expose pour la première fois en 1886 et ensuite jusqu’à sa mort. Il y acquiert ses premières lettres de noblesse mais y recueille aussi condescendance, moqueries et quolibets de la part des critiques et de la presse.

Un style inspiré du Moyen Âge et des primitifs

Henri Rousseau est un « vieil innocent, vrai primitif, Giotto sans métier ni culture » disait de lui un critique. En amateur passionné et devenu peintre sur le tard, Rousseau réalise dès 1884 des copies de tableaux et de la tapisserie de La Dame à la licorne. Dans L’Enfant à la poupée, le semis de petites fleurs semble comme une réminiscence de ces millefleurs ornant la tapisserie médiévale. Les petites fleurs sont réparties, à la manière moderne des Nymphéas de Claude Monet, sur toute la surface de la tapisserie. Les couleurs sont éclatantes, Rousseau a une technique bien à lui pour travailler. Il met d’abord en place les grandes lignes de la composition. Il pose ensuite les couleurs les unes après les autres, par couches et en teintes plates (sans effet de relief). C’est un coloriste original et de génie, minutieux comme un enlumineur médiéval. Il vivait « comme un moine du Moyen Âge au milieu de ses visions », dit à son propos le critique d’art Christian Zervos.

Rousseau, modèle pour les modernes

Par son style personnel, la force et la poésie de sa peinture, le Douanier Rousseau se hisse au premier rang des artistes de son temps. Paul Gauguin, Edgar Degas, Guillaume Apollinaire admirent son travail et lui offrent leur amitié. Le poète le présente à Pablo Picasso et à Robert Delaunay. Au moment où les artistes cherchent de nouvelles inspirations et de nouveaux modèles, Rousseau fournit l’exemple d’une fraîcheur inédite et naïve, coupée de l’histoire de l’art. Picasso admire l’univers du Douanier et sa simplicité qui n’est qu’apparente. En quête d’une pureté des origines de l’art, le peintre espagnol déclare : « J’ai mis toute ma vie à savoir dessiner comme un enfant. » Le Douanier avait toujours su le faire naturellement avant lui. Ce dernier adresse à Picasso un compliment resté fameux, lors de sa visite au Bateau-Lavoir (l’atelier de Picasso à Montmartre) en 1908 : « Nous sommes les deux plus grands peintres de notre temps, toi dans le genre égyptien, moi dans le genre moderne. » En 1938, Picasso reprend le sujet de L’Enfant à la poupée pour réaliser le portrait de sa fille Maya dans Maya à la poupée : la même composition, et la même fixité de la poupée.

Le Douanier Rousseau, un naïf dans la jungle, une vidéo France TV - Culture Prime

Mots-clés

Marie-Louise Schembri

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/lenfant-la-poupee

Publié le 20/02/2024

Ressources

La notice de l’œuvre sur le site web du Musée de l'Orangerie

https://www.musee-orangerie.fr/fr/oeuvres/lenfant-la-poupee-196422

Décryptage de trois oeuvres du Douanier Rousseau sur le site web de L'Histoire par l'image

https://histoire-image.org/artistes/douanier-rousseau-henri-rousseau-dit

Un regard sur l'enfance sur le site web de l'Histoire par l'image

https://histoire-image.org/albums/enfance

Le Douanier Rousseau. Vidéo de présentation de l’exposition du musée d'Orsay, printemps 2016

https://www.youtube.com/watch?v=UgMYFdc5J9A

Glossaire

Perspective : Technique qui permet de représenter l’espace et les objets avec de la profondeur et des volumes sur une surface plane pour donner l’illusion de la troisième dimension.

Clair-obscur : Répartition des ombres et des lumières sur une peinture, de telle sorte que les couleurs les plus sombres se juxtaposent aux plus claires et produisent un fort effet de contraste.

Mille fleurs : Tapisserie à décor de verdure semé de fleurettes à la mode au XVe siècle

Art naïf : Création d’artiste amateur réalisée sans souci de références culturelle et artistique ou qui les interprète. Les peintures sont marquées par un style personnel et ingénu. Le Douanier Rousseau reste le peintre naïf le plus célèbre, mais Séraphine de Senlis, André Bauchant et Camille Bombois figurent parmi les plus talentueux. On peut considérer que le Palais idéal du facteur Cheval est un rêve architectural naïf.