Le Pied bot Ribera Jose de

Le Pied bot

Dimensions

H. 164 cm ; L. 94 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1642

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Pourquoi faire le portrait d’un mendiant ?

Le tableau du Louvre intitulé Le Pied bot image principale représente un jeune garçon qui nous regarde en souriant. Il marche seul dans la campagne, portant fièrement une béquille sur l’épaule comme un soldat porterait sa lance. Cet enfant est infirme, son pied droit est déformé image b. Il peut s’agir d’une anomalie congénitale (pied bot) ou des conséquences d’une hémiplégie. La petitesse de ses jambes nous indique qu’il est sans doute nain. D’autre part, il est pieds nus, mal vêtu et porte une large besace. Dans sa main gauche, il tient une feuille de papier sur laquelle est écrit en latin : « Donnez-moi l’aumône pour l’amour de Dieu » image c. Ce permis de mendier était nécessaire à Naples au XVIIe siècle, époque à laquelle le peintre espagnol Jose de Ribera réalise ce portrait.

Un peintre espagnol en Italie

Jose de Ribera est né à Jativa, près de Valence, en Espagne. Très jeune, il se rend en Italie. Vers 1606, il s’établit à Rome, qui est alors la capitale des arts. Le principal courant artistique à l’époque est le caravagisme. Le peintre lombard Michelangelo Merisi, dit le Caravage, a créé à Rome ce style révolutionnaire : il peint de façon réaliste des scènes de taverne, des bohémiennes, des joueurs de cartes. Il introduit dans ses tableaux religieux des figures populaires qu’il fait surgir de l’ombre par l’effet d’un éclairage théâtral.

Ribera adhère à ce courant et le diffuse à Naples, où il s’installe en 1616 image 7. Il peint essentiellement des sujets religieux image 1. Ses contrastes accentués d’ombre et de lumière (le ténébrisme) et son sens du tragique influencent les peintres de son époque. Le Pied bot image principale est un tableau caravagesque par son sujet réaliste. Un être misérable et infirme est montré en gros plan, sans idéalisation. Mais sa silhouette se détache sur un fond lumineux, le paysage est peint dans des tons clairs. On retrouve ici la palette du peintre et l’association des ocres et du bleu. Après 1635, Ribera abandonne le ténébrisme de ses débuts image 2 et emprunte aux Vénitiens leurs valeurs colorées et lumineuses. Son évolution vers un art plus classique est due aussi à la présence à Naples de peintres bolonais élèves des Carrache : Guido Reni image 3, Lanfranco, le Dominiquin.

Le réalisme espagnol

Même si sa carrière se déroule en Italie, Ribera est resté foncièrement espagnol. Il vit d’ailleurs à Naples, qui est la capitale d’un territoire sous domination espagnole. Il devient peintre de cour et le vice-roi, le duc d’Osuna, le loge au palais royal. Il reçoit de nombreuses commandes de l’aristocratie et du clergé. Ses peintures religieuses associent mysticisme et trivialité, une caractéristique de la religiosité espagnole. Ribera peint les ascètes et les martyrs aux mains noueuses et aux corps décharnés, mais aussi les nains, les bouffons, les femmes à barbe. La réalité qu’il décrit rappelle celle des romans picaresques. La littérature espagnole des XVIe et XVIIe siècles privilégie les aventures des gueux (les picaros), des antihéros à la morale douteuse. Ces marginaux, opposés aux hidalgos, les privilégiés, constituent le revers de la médaille de l’Espagne du Siècle d’or, la plus grande puissance mondiale de l’époque.

On peut évoquer dans le même esprit les portraits de nains de Vélasquez image 4 et Le Jeune mendiant de Murillo image 5

Les pauvres à l’image de Dieu

Le Pied bot image principale est un sujet profane mais peint dans un contexte historique particulier, celui de la Contre-Réforme. Le monde chrétien a connu au XVIe siècle une crise religieuse avec l’apparition de la Réforme protestante. Dans les pays catholiques, l’art est utilisé dans un but militant : il doit non seulement plaire, mais inspirer de nobles pensées et ramener le spectateur vers les vertus chrétiennes de pauvreté, d’humilité et de charité. Le jeune mendiant de Ribera fait appel à notre compassion, mais il est souriant et fier. L’horizon bas confère de la monumentalité à son portrait en pied. Le ciel bleu à l’arrière-plan ajoute une note d’optimisme. En donnant de la dignité à un être handicapé, Ribera nous rappelle que nous sommes tous égaux devant Dieu car nous sommes tous ses enfants. Les pauvres et les déshérités, plus encore, sont les élus de Dieu. C’est un privilège et un devoir de les secourir.

Ribera est l’un des plus grands peintres du XVIIe siècle. Son influence est considérable en Italie, où il fonde l’école napolitaine, et en Espagne, où plusieurs de ses œuvres étaient envoyées. Au XIXe siècle, les peintres français redécouvrent la puissance et l’expressivité de son art, notamment Édouard Manet qui s’en inspire dans ses images de mendiants et de musiciens de rue image 6.

Colette Féraudet

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-pied-bot

Publié le 08/06/2023

Ressources

La notice de l’œuvre sur le site du Musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010059547

Une biographie de Jose de Ribera, Encyclopédie Larousse

https://www.larousse.fr/encyclopedie/peinture/Jos%C3%A9_de_Ribera/154100

Glossaire

Caravagisme : Courant artistique initié à Rome au début du XVIIe par Caravage, qui se caractérise principalement par des compositions sobres, clairement structurées, une représentation fidèle de la réalité et des effets de clair-obscur. On qualifie les peintres qui se rattachent à ce mouvement de « caravagesques ».

Contre-Réforme : En pleine crise, l’Église affronte la Réforme protestante avec la Contre-réforme au travers du Concile de Trente (1545-1563). Plusieurs décrets concernent l’emploi des images religieuses qui doivent affermir la foi et éduquer les fidèles les moins instruits. Les formes et les gestes doivent être simples. Les tableaux doivent comporter peu de personnages et des couleurs franches. Les thèmes du culte des saints et de la Vierge et les scènes montrant la Passion du Christ sont privilégiés.

Roman picaresque : Genre littéraire né en Espagne au XVIe siècle. Un roman picaresque se compose d’un récit sur le mode autobiographique racontant l’histoire de héros miséreux, généralement des jeunes gens vivant en marge de la société et à ses dépens (les picaros).

École des Carrache : École de peinture à Bologne formée dans les années 1580 par Annibal et Augustin Carrache, avec leur cousin Ludovic. Connue sous le nom Degli incamminati (« les acheminés »), cette école réagit aux débordements raffinés et artificiels des maniéristes par l’inspiration de l’Antiquité et de la nature. Le style vise une simplicité des formes et une lisibilité des scènes religieuses en lien avec la Contre-Réforme. Cette nouvelle quête esthétique pose les bases du classicisme et du baroque au XVIIe siècle.

Siècle d’or espagnol : Période de rayonnement culturel de la monarchie catholique espagnole en Europe de 1492 à 1681.