L’Âge mûr Claudel Camille

L’Âge mûr

Dimensions

H. : 114 cm ; L. : 163 cm ; Pr. 72 cm

Provenance

Technique

Sculpture

Matériaux

Bronze

Datation

1893-1899, fondu vers 1902

Lieu de conservation

France, Paris, musée d’Orsay

L’Âge mûr, une œuvre autobiographique ?

Sœur de l'écrivain et poète Paul Claudel, Camille Claudel montre dès l'enfance son intérêt et son talent pour la sculpture en modelant l'argile dans une ancienne fabrique de tuiles en province. En 1882, la famille s'installe à Paris pour que la jeune femme puisse suivre un enseignement artistique. Dès cette année, elle se forme dans un atelier privé, l'Académie Colarossi, l'École des beaux-arts étant alors interdite aux femmes.

Au xixe siècle, devenir sculpteur est un parcours semé d'embûches pour une femme, quel que soit son talent. En effet, outre la domination masculine à laquelle les femmes font face dans le milieu artistique, la sculpture requiert une grande force physique et la confiance de clients potentiels en raison du coût de cette technique. Ainsi, pour continuer sa formation tout en gagnant sa vie, Claudel devient praticienne et modèle d'un sculpteur renommé, Auguste Rodin. Elle est également l'auteur de plusieurs sculptures, dont L'Âge mûr image principale.

La gestation d'une œuvre

Entre 1893 et 1898, L'Âge mûr fait l'objet de plusieurs projets, dont l'évolution témoigne de celle de Claudel. Dès le dessin préparatoire, l'artiste imagine trois personnes disposées en largeur, groupe complété par un arbre penché exprimant la destinée. Si l'arbre n'est finalement pas retenu, les trois corps restent présents tout au long de la conception de l'œuvre. Leur position respective et leurs attitudes évoluent cependant. Ainsi, la première version en plâtre conservée au musée Rodin, montre un homme âgé partagé entre deux femmes. Soutenu par une vieille femme à gauche, il pose sa main sur l'épaule d'une jeune femme agenouillée à droite. Dans la deuxième version de l'œuvre, l'homme est nettement entraîné vers la gauche par la femme âgée, s'éloignant ainsi de la jeune femme. L'œuvre achevée en plâtre est présentée au Salon de 1899. La version finale en bronze, conservée au musée d'Orsay, est une commande du capitaine Tissier, ami et mécène de Claudel.

Rose Beuret, Auguste Rodin, Camille Claudel : un ménage à trois

Il est tentant de voir dans L'Âge mûr une œuvre autobiographique. Claudel et Rodin se rencontrent en 1882 et travaillent ensemble dès 1882, notamment sur le monument Les Bourgeois de Calais image 2. Claudel se voit confier la réalisation des mains et des pieds, ce qui est une marque de confiance tant ces parties du corps sont importantes par leur expressivité dans le travail de Rodin. Rapidement, les deux artistes nouent une liaison amoureuse. Si leurs échanges sont riches et passionnés, ils sont également tendus. Volage, Rodin s'accommode mal d'une relation exclusive sans doute souhaitée par Claudel, de vingt-quatre ans plus jeune que lui, et refuse de se séparer de Rose Beuret, sa compagne de toujours. La rupture, mal vécue par les deux sculpteurs, influence sans doute l'évolution de L'Âge mûr. Difficile, en effet, de ne pas voir dans la vieille femme décharnée une allusion à Beuret, que Claudel avait par ailleurs caricaturée sous xdes traits peu flatteurs.

Quatre titres pour une œuvre : L'Âge mûr, La Destinée, Le Chemin de la vie, La Fatalité

Si la liaison orageuse des deux sculpteurs est probablement à la source de L'Âge mûr, l'œuvre revêt également une signification intemporelle. Elle est effectivement une interrogation sur la destinée humaine confrontée au temps qui passe. La cruauté de l'œuvre ne réside pas seulement dans la représentation sans concession de corps nus flétris, mais aussi dans le constat amer de l'impuissance de la jeunesse et de la beauté face aux ravages de l'âge et au fossé qui sépare les générations. Ainsi, au-delà de son expérience personnelle, Claudel se confronte à une thématique qui intéresse de nombreux artistes symbolistes de la fin du xixe siècle, celle du cycle de la vie. Les quatre titres donnés à cette sculpture en témoignent.

Le tabou du corps décrépi

La représentation sans concession des deux corps de vieillards amaigris, aux chairs flasques et pendantes, est audacieuse dans un art qui a longtemps privilégié la beauté idéale. Influencé par les œuvres de l'Antiquité, le nu donne habituellement une vision inaltérable du corps, décrit dans la plénitude de la jeunesse et de la vigueur. Il faut toute l'audace de Jean-Baptiste Pigalle en 1770 pour portraiturer un Voltaire nu au corps amaigri et ridé image 6Peu soucieux de suivre les modèles classiques, Rodin se confronte, avec ses assistants Claudel et Jules Desbois, au corps féminin décharné. En 1887, il modèle L'Hiver image 3, terrible constat des ravages du temps. Desbois et Claudel sculptent eux aussi des figures féminines âgées : Torse de Clotho image 4, l'une des Parques, pour Claudel en 1893, et La Misère image 5 pour Desbois entre 1884 et 1894. L'Âge mûr s'inscrit ainsi dans les recherches menées au sein de l'atelier de Rodin, dans lequel l'émulation est un puissant stimulant.

Sculpter le vide

Si le grand mouvement en diagonale des corps, accentué par la draperie, et la forme ondulante du socle font de L'Âge mûr une sculpture du déséquilibre, l'œuvre joue également sur le vide. En effet, toute sa tension réside dans l'espace séparant la main du vieillard et celles de la jeune femme. Puisant dans l'ambiguïté d'une telle position, Claudel laisse le spectateur dans l'incertitude du moment décrit : s'agit-il d'une séparation ? d'une tentative d'union ? d'un mouvement en avant de la jeune femme pour essayer de retenir l'homme ? d'un mouvement en arrière de ce dernier pour tenter de lutter ? Toute la force de l'œuvre réside dans cette incertitude.

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Isabelle Bonithon

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/lage-mur

Publié le 22/07/2017

Ressources

Un article de Siân Reynolds sur la situation des femmes sculpteurs au XIXe et au début du XXe siècle

http://www.persee.fr/doc/mcm_1146-1225_1998_num_16_1_1181

Un article sur la relation entre Camille Claudel et Auguste Rodin

http://www.musee-rodin.fr/fr/ressources/fiches-educatives/rencontre-rodin-et-camille-claudel

Glossaire

Symbolistes : Poètes d’abord puis peintres, du dernier quart du XIXe siècle, qui rejettent le naturalisme et le positivisme modernes. Ils remettent la pensée et l’imaginaire au cœur de la création.

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